JEUNES:-- Avant qu’ils ne nous échappent


 

     
          

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JEUNES 

 

Avant qu’ils ne nous échappent

Par Kamal ZEMOURI

  http://www.geocities.com/ladepechedz/dossier159

C’est la honte, h’chouma a’alina ! Nous sommes tous, quelque part responsables de ce gâchis. Que des jeunes algériens croupissent dans les geôles libyennes et tunisiennes n’a rien d’un fait banal. En deux années et demi, 174 corps de harragas ont été repêchés et les gardes côtes ont récupérés 2400 jeunes partis braver la mort pour un destin hasardeux. Réponse singulière des autorités : un durcissement de la loi, malgré le vide juridique caractérisant ce type d’infraction, soit de six à cinq années de prison ferme. Nos enfants, qui ont grandi trop vite, ont commencé à nous échapper, c’est un fait incontestable. Pour ceux qui n’ont pour objectif que l’île de Lampedusa et faire les vendanges à Brescia, plutôt de poursuivre des études chez eux. Ceux-là sont persuadés qu’ils s’en sortiront mieux et pour nous, qui les avons mis au monde, élevés, éduqués, c’est trop tard, nous les avons perdus. Il reste à espérer qu’ils ne se perdront pas dans ce vaste monde, décidés qu’ils sont à ne plus rentrer dans cette Algérie contre laquelle ils dressent tous les réquisitoires possibles. Et plus dure sera la chute, pour eux comme pour leurs aînés qui verront leurs consciences alourdies d’un lourd fardeau, dont ils auraient pu faire l’économie. S’il est un terme qui peut se passer d’épithètes c’est bien celui d’exil. Le bilan de l’Algérie en matière de politique envers les jeunes n’est pas nul certes, mais est-il suffisant pour donner satisfaction aux besoins du plus important et plus vulnérable segment de la population ? Il faut bien croire que non. Pour ces centaines de milliers de jeunes la société se caractérise par de la défiance à leur encontre.

Le dossier de la jeunesse algérienne est sans doute le plus important, du fait qu’il est censé donner au développement multisectoriel de notre pays toute sa justification, mais également le plus dramatique, à compter du moment où ce même développement ne paraît pas avoir intégré cette question comme il se devait, c'est-à-dire en lui accordant toute la dimension et le volume requis. Récemment, une conférence sur la formation et l’enseignement professionnel s’est tenue à Alger, en présence du chef de l’Etat. Cette seule présence confirme le caractère éminemment stratégique du problème de la jeunesse. Mais peut-on aborder ce dossier qu’à travers le prisme d’un seul secteur d’activité du pays, quand bien même est-il l’un des rares à avoir donné certaines satisfactions ? Quand en amont les choses se passent relativement normalement, c’est en aval que le bât blesse et, dans le cas qui nous préoccupe, il blesse sérieusement. Le marché du travail ne suit pas. A-t-il d’ailleurs suivi un jour. A-t-il jamais fait l’effort de s’adapter aux filières de la formation professionnelle ? Oui, cela peut paraître comme une hérésie, ce n’est pas au marché de s’adapter, mais alors que faire de ces dizaines de milliers de diplômés de la « Efepé » contraints aux innommables conversions de survivance ? Nos jeunes vont mal, très mal. Ils sont de plain-pied dans la zone à risques.

De 1988, année d’un signal fort en direction des décideurs, à 2008, qu’a-t-on fait d’extraordinaire qui soit à la hauteur de leurs ambitions les plus modestes ? Peu de choses pour ne pas dire rien comparé au déficit abyssal qui les concerne. Les jeunes s’ils ont té entendu n’ont pas été écoutés. Le résultat on le connaît, on l’entend même de plus en plus violemment. Hittistes d’abord, harragas et kamikazes ensuite, de quoi sera fait demain ?

Un pays où l’on a culot de s’enorgueillir d’avoir rétabli lez préscolaire 40 ans après 62 c’est honteux. No futur et no présent, comment vivre l’un sereinement quand on ne voit pas le bout du tunnel ? Fait gravissime, le suicide est en passe de devenir en Algérie l’une des principales causes de mortalité. 112 suicides en 2006 et 104 tentatives manquées. Le taux de suicides a connu un bond effrayant en passant de 0,94 en 1999 à 2,25 pour 100 000 habitants en 2003. Soit, toutes les 12 heures, un Algérien se suicide.

Les spécialistes s’accordent à affirmer que le suicide constitue, aujourd’hui, un véritable problème de santé publique de part les pertes humaines qu’il engendre, mais aussi des problèmes socio psychologiques qu’il reflète. Une récente étude réalisée par la Gendarmerie nationale et publiée dans sa dernière revue, a montré une évolution inquiétante de ce phénomène qui a tendance, expliquent les spécialistes, à devenir l’une des principales causes de mortalité. Le suicide touche, selon l’étude, une importante couche de la population, notamment juvénile, « poussant les spécialistes à tirer la sonnette d’alarme » Cette catégorie sociale, qui doit incarner l’avenir du pays, trouve dans le suicide une échappatoire, -ou une soupape-, à un malaise social réel et de plus en plus ravageur. Tant que des jeunes gens mettront leurs vies en péril pour fuir un pays où ils sentent étrangers, tant que des jeunes filles ne pouvant fuir par la mer emprunteront la voie fatale du suicide, nous demeurerons dans l’échec.

La coupe est pleine. Et ce n’est pas en mettant sous les verrous des harragas que l’on réglera le problème. On ne fait que l’amplifier. Certains de nos décideurs qui ont connu les geôles françaises savent de quoi il en retourne. Mais l’histoire est ainsi faite, une roue qui tourne dont on ne retient que rarement les leçons.

Parler des jeunes c’est tout de même évoquer la situation de près de 60% de l’ensemble de la population, ce n’est pas rien. Déjà en 2001, l’Office National des Statistiques (ONS) indiquait que sur une population globale de 30,7 millions d’habitants, les jeunes de 30 ans représentent un taux de 58% soit pas loin de 20 millions d’individus. Nul ne saurait ignorer ce potentiel humain, le laisser aller à vau l’eau. Nos brillantissimes stratèges ont privilégié le développement des richesses naturelles immédiatement rentables, au détriment de la richesse humaine génératrice et créatrice de moyens à même de contribuer à l’essor de la communauté nationale. Non pas qu’il faille s’en désintéresser, mais un aller simple vers ce qu’il y a lieu d’appeler l’économie réelle, soit celle qui nous mettrait à l’abri d’une dangereuse dépendance des hydrocarbures, afin de créer les emplois pour lesquels nos jeunes sont en attente.

Avec un baril d’or noir à cent dollars, l’irréparable a été commis, et là nous pouvons nous qualifier de récidivistes, ceux qui sont à l’origine de cette atteinte aux espoirs de millions de jeunes Algériens et Algériennes. La majorité de la population s’appauvrit, se précarise et repique du nez dans l’assistanat, rapidement, et massivement.

Trop c’est trop. La litanie des griefs est longue et combien révélatrice de cette profonde désespérance qui ôte jusqu’au goût de vivre. Jugeons en : en tête de liste, le chômage, puis s’enchaînent l’éclatement de la cellule familiale, la dégradation du pouvoir d’achat, un système scolaire contestable avec ses déperditions, la perte du repère identitaire et culturel, le mimétisme d’une pseudo culture occidentale tapageuse et inconsistance, absence d’une politique culturel et de loisirs d’envergure d’où malvie et oisiveté,  et pour boucler cette triste énumération, le terrorisme et ses terribles conséquences. Avec un tel programme nos jeunes n’ont pas fini de bouffer leur pain noir.

Octobre 1988, le temps nous était déjà compté. Il nous l’est davantage aujourd’hui. Le chaudron est sur des charbons ardents. La souffrance des Jeunes en Algérie est le plus précis et le plus puissant, à la fois révélateur et amplificateur de la détresse sociale des Algériens.  

Lors des dernières grèves des lycéens, on a souvent entendu les gens dire que ces adolescents ont eu le courage de faire ce que leurs aînés n’auraient pas osé faire. C’est vrai qu’ils ont été admirables de courage et de détermination.

Les jeunes ont la mémoire longue, ils se souviennent du mépris affiché à leur égard avec cette ridicule allocation chômage de 200 dinars pas mois, soit 1200 fois moins que le salaire d’un député, à l’époque. Et même pour obtenir cette somme dérisoire, il fallait affronter les arcanes de l’administration, ce qui, entre autres affaires du même acabit, a complètement décribilisé l’image de l’état, à travers ses institutions. Depuis, le sentiment d’injustice s’est étendu, hélas au-delà des rapports individuels. Il concerne l’ensemble des institutions publiques.
La mauvaise gestion économique si elle peut se rattraper, celle des ressources humaines autant au niveau d’une entreprise  qu’à l’échelle d’une nation cause des lésions irréversibles. Cela peut s’apparenter, n’ayons pas peur des mots, au crime contre l’humanité. Les exemples de politiques « pousse au crime » sont nombreux à travers ce monde où ce qu’il y a lieu d’appeler « forces vives de la nation » sont soit instrumentalisées, soit laissées en pleine dérive.
Dans notre précédent numéro, nous titrions à propos de l’emploi des jeunes « Les responsables ne jouent pas le jeu » et l’article de notre confrère Abbès Benali était un réquisitoire contre, notamment, les banques « qui bloquent les démarcheurs à la recherche de financements… » Un constat établi par le président de la république, lui-même, quant il a évoqué la semaine dernière « les moyens financiers très importants pour assurer la formation de centaines de milliers de jeunes. » D’un côté l’imperméabilité d’un marché qui demeure sourd aux revendications des jeunes, de l’autre plusieurs dispositifs censés coacher les jeunes dans leurs démarche pour la création de micro entreprises, d’une déplorable inefficacité. Par commodité de langage, on pourrait dire qu’il s’agit là d’un exemple frappant de mauvaise gestion. C’est plus grave, il s’agit de gestion discrétionnaire. Un micro sondage chez les demandeurs le confirmerait aisément.

Inutile d’épiloguer sur les solutions à ce problème, elles sont connues et ont été suffisamment rabâchées dans les colonnes des journaux, énoncées dans les centaines de forums, colloques et séminaires consacrés aux jeunes. Aujourd’hui plus que jamais, nous sommes à la croisée des chemins, nous devons nous réconcilier avec nos enfants. Cela a été pourtant fait avec des terroristes aux mains rouges du sang d’innocents. Quand on a pactisé avec ces gens là, pourquoi ne pas tendre la main à ceux qui en ont le plus besoin, aux jeunes. L’adage est universellement connu qui dit ceci « Chassez le naturel, il revient au galop ». Le naturel de nos jeunes, c’est leur santé morale malgré toutes les dérives. Seules ces dernières sont contre nature, elles n’avaient pas lieu d’être, du moins dans les proportions atteintes de nos jours. Et comme on dit sous tous les cieux, ces jeunes là sont de chez nous, faisons leur confiance !

Il est du droit e chacun, en tant que citoyen, et de son devoir s’il est journaliste, de faire des propositions. La nôtre est la suivante : toutes les politiques à venir devraient placer au cœur de leurs stratégie, la jeunesse. Il ne s’agit pas d’un plan Marshall, l’Algérie est assez riche et a suffisamment de génie, pour se passer d’une aussi humiliante démarche.

 

 

TRAVELLING MORTIFERE

 

Pour reprendre leur langage vernaculaire c’est le « dégoûtage » pour les jeunes, leurs repères ayant sauté, depuis un bail,  beaucoup d’entre eux ont pété un câble. D’autres plus avisés ont cherché les moyens les plus faciles de s’en sortir et tant pis pour la loi, les normes et la morale. Après tout la société ne doit  s’en prendre qu’à elle même.

Quelque part dans la périphérie d’une grande ville, un quartier sans âmes, sans nom, sinon un vocabulaire d’asile de nuit du genre «bâtiment A, bloc six, cage deux » des jeunes vont et viennent, s’interpellent à haute voix, avec l’arrogance que donne l’assurance d’être les maîtres incontestés des lieux. Des lieux que personne ne chercherait à leur disputer. Les toponymies d’antan, si évocatrices, n’ont plus cours en ces lieux. L’aspect mortifère de ces cités, aux teintes passées et sales, nous ramène à une définition : celle du terme banlieue. Soit un territoire d’à peu près une lieue, sur lequel s’étend le ban, en fait l’arrière-ban, d’où le terme de banlieue. Nous avons les nôtres certes, mais cela ne signifie pas pour autant que les jeunes des centres-villes soient mieux lotis.

Et de ban à bannissement, il n’y a qu’un pas à franchir et, de ce point de vue, tous sont logés à la même enseigne. C’est dans ces faubourgs carcéraux que la majorité de notre jeunesse voit se dérouler la trame de son existence, entre oisiveté et désespoir dénominateurs communs qui s’expriment de diverses façons. C’est la délinquance dans le pire des cas, après des études anémiées et le désir de fuir qui, lui,  est toujours au rendez-vous. Le sentiment général qu’ils pourraient exprimer est le suivant : tout et tous s’éloignent d’eux. Ils se sentent, paradoxalement, de plus en plus seuls dans un monde où l’on est de plus en plus nombreux et de plus en plus sollicités.

Les plus «nantis » d’entre eux sont ailleurs, déconnectés un moment de la grisaille, comme accrochés à leurs lecteurs Mp3 réglés à fond la caisse. Les décibels font oublier. Les autres, qui ne sont pas transistorisés, parlent fort, très fort, avec un côté agressif, en plongeant leurs regards vides dans le néant qui les submerge. On ne croise que des visages désubstanstifiés. A chacun sa façon de communiquer. Le monde, lui, continue de tourner et au dessus de leurs têtes bourrées de rêves impossibles. Le ciel pullule d’astéroïdes qui arrosent le monde de leurs cultures standardisées.

Ainsi, ce début de siècle déroule sa trame à l’allure d’un train grande vitesse. Bien plus vite qu’on aurait pu imaginer. Le bilan des dernières années est aisé a établir : davantage négatif que positif. Avec une troisième guerre mondiale larvée, un trou qui va s’élargissant dans la couche d’ozone, une planète transformée en poubelle, et l’homme toujours pas résigné à faire le bonheur de son prochain. Le quasi mythique 3ème Millénaire leur est arrivé comme un pavé sur le coin de la figure. Huit ans plus tard, l’espoir, quant il ne s’est pas volatilisé, s’est considérablement amenuisé.

Au cœur de toutes ces incertitudes, les jeunes sont les premiers à en pâtir et à s’interroger sur le fait de savoir si être jeune constitue une chance réelle ou un handicap certain. Dans cette cité des hauteurs de la ville, ils sont de véritables devins. Ils nous remettent en mémoire ces mots d’Anatole France « La jeunesse a cela de bien qu’elle peut admirer sans comprendre. En avançant dans la vie, on veut saisir quelque rapport des choses et c’est d’une grande incommodité ». Au début cela se présente sous la forme d’un malaise indéfinissable, puis l’intolérable, l’insupportable doute qui s’installe et enfin la vérité toute nue, sans fards, qui leur éclate en pleine figure. Si on les interroge, ils ont tous la même réponse, ça fuse comme un éclat, en deux syllabes « Y a rien » et les yeux de l’oisiveté se sont aiguisés, rien n’échappe au regard. Partout, les signes extérieurs et injurieux de l’enrichissement frauduleux. Ils ne croient qu’à ce qu’ils voient et ce qu’ils aperçoivent n’a rien d’engageant. L’aphorisme d’Anatole France est tombé en désuétude.

A partir de là, toutes les opportunités sont bonnes à saisir, il ne faut rien lâcher.

L’argent facile, un visa, des fringues pour « en jeter » voilà leurs nouvelles références, désormais. Et peu importe les moyens d’y arriver. Ils ont fini par comprendre que toutes les portes leurs étaient fermées. La valeur fondamentale, celle du travail honnête les amuse. Ils n’ont qu’à regarder du côté de leurs « vieux » pour argumenter leur choix. L’honnêteté ne paie plus, a-t-elle payée un jour ?

Entre temps, la délinquance a fait son sale boulot auprès, notamment, des cinq cent mille jeunes exclus du système éducatif, chaque année.

Quant aux rapports de police, ils sont accablants. Les statistiques sont éloquentes et traduisent l’acuité du problème de la délinquance juvénile. La répartition des crimes et délits par tranches d’âge révèle que la criminalité des jeunes se développe plus vite que celle des adultes. Les données concernant la toxicomanie ne sont guère plus rassurantes.

Ainsi qu’on le soulignait plus avant, la valeur travail est tournée en dérision et le trabendo, dont l’aspect illicite est  patent, consacre une certaine rupture avec la société, une césure avec ces aînés dont le pathos moral ne prend plus. Sachons que sur près de 1 200 000 jeunes de la tranche des 20/25 ans, 65% sont sans revenu, 80% sont célibataires faute de logement, et 70% sans qualification professionnelle. De quoi donner des frissons à qui a la tête bien campée sur les épaules.

De récents chiffres indiquent que chez nous, plus de dix mille jeunes dont neuf cent mineurs passent devant le juge, chaque année !

Et tant que la situation de désespérance des jeunes durera, la tentation d’aller au plus vite et au plus facile grandira. Le plus facile et le plus rapide c’est aussi, malheureusement, tirer sa révérence à un monde injuste. De récents évènements viennent d’en apporter, dans le bruit et la fureur, la preuve par l’indicible horreur.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

 



19/03/2008
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