Justice : enfin la loi qu’attendent tous les enfants
Justice : enfin la loi qu’attendent tous les enfants
le 20.12.13 | 10h00
Après la peine de mort pour les assassins d’enfants votée par l’Assemblée nationale, un nouveau texte, inédit dans l’histoire de l’Algérie, attend d’être étudié en Conseil des ministres. El Watan Week-end a pu s’en procurer une copie.
L’avant-projet de loi sur la protection de l’enfance, abandonné en 2006, est remis sur la table. Le texte est terminé et doit passer dans les prochaines semaines devant le Conseil des ministres. Ce texte inédit propose tout un dispositif de protection pour les enfants en danger moral ou en conflit avec la justice. En clair, une protection contre toute forme de négligence, de violence, de maltraitance, d’exploitation ou d’atteinte morale, physique et sexuelle. Pour tous les enfants ayant perdu des parents, se retrouvant à la rue ou dont les parents sont incapables d’assurer une prise en charge, exposés à une exploitation sexuelle, économique, ou soustrait à l’éducation.
Quelles mesures propose ce texte ? D’abord, une médiation. Une personnalité, nommée par décret présidentiel, pourra être saisie pour toute atteinte aux droits de l’enfant par toute personne ou association, ou par l’enfant lui-même afin de l’aider auprès de n’importe quelle institution publique ou l’assister pour porter plainte. Selon l’article 10, «il est créé, sous l’égide du président de la République, un organe national de la protection de l’enfance, présidé par le délégué national à la protection de l’enfance, chargé de veiller à la protection et à la promotion des droits de l’enfant, jouissant de la personnalité morale et de l’autonomie financière et administrative».
Vidéos
Autre décision longuement recommandée par les associations : le recours à des enregistrements vidéo pour les audiences des enfants victimes de violence ou faisant l’objet d’enquêtes. L’enregistrement pourra ensuite être mis à la disposition des enquêteurs, de l’avocat, ou même des psychologues, si cela est nécessaire, et ce, afin de ne pas traumatiser l’enfant par une série de questions posées plusieurs fois et par nombre de personnes. L’article 55 précise : «L’audition, au cours de l’enquête et de l’information, d’un enfant victime d’agression sexuelle fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel.»
Dans l’article 20, les associations, le médecin de famille ou tout autre citoyen ou personne physique peuvent, pour la première fois, faire un signalement auprès du juge des mineurs ou du tribunal, ou porter plainte si l’enfant se trouve en situation de danger. A défaut d’un tribunal des mineurs comme souhaité par les associations, la loi prévoit de donner plus de prérogatives au juge des mineurs. En parallèle à ce texte, deux autres projets sont en cours : une réflexion sur le système d’alerte et de signalement lancé par plusieurs institutions est validée et un projet de la prise en charge de la population délinquante et criminelle par le ministère de la Justice.
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AbdeRrahmane Arar. Président du réseau Nada : "nous voulions que la peine de mort soit élargie à tous les enlèvements d’enfants"
-Le projet de loi relatif à la protection de l’enfant est gelé depuis 2006. Ce n’est que maintenant que le texte sera soumis au Conseil des ministres puis à débat au Parlement. Une manœuvre électorale ?
Non, car je pense que si le pouvoir voulait faire sa campagne électorale, il trouverait mieux qu’un texte législatif sur les enfants. Mais il est vrai que cette loi a pris beaucoup de temps pour son élaboration. Il y a eu aussi beaucoup de retard avant que le texte n’arrive devant les ministres, alors que la volonté politique était déjà affichée. C’est un texte qui a suscité plusieurs débats au sein du gouvernement. Je ne comprends pas pourquoi il posait problème. Nous comprenons que de 2006 à 2012, ce texte n’était pas une priorité pour l’Etat, mais les enlèvements d’enfants et la violence à leur égard ont pris une terrible ampleur. Le temps est venu de trancher, et vite. Reste à dire que c’est un texte inédit. Il cible une communauté précise chez les enfants, ceux en danger moral et les enfants victimes de différentes formes de crime ou en conflit avec la loi. C’est une grande avancée pour les défenseurs des droits des enfants.
-Le code pénal adopté mardi dernier vient également renforcer la protection des enfants. Considérez-vous que la peine de mort pour les meurtriers d’enfants est une avancée ?
La peine de mort a été conditionnée par les agressions et les atteintes sexuelles sur les victimes. Autrement dit, si l’enlèvement d’enfant est directement suivi de décès, il n’y aura pas de peine de mort et dans ce cas, c’est l’article 293 qui sera appliqué, soit la perpétuité. Il s’agit là d’une manœuvre pour ne pas appliquer la peine de mort. Nous proposions que la peine de mort soit appliquée à tous les enlèvements et assassinats d’enfants. Toutefois, cela reste un pas considérable dans la lutte pour les droits des enfants. Mais la solution finale consiste à instaurer des mesures sociales pour prévenir la délinquance et la criminalité des mineurs. Il faut lancer une réflexion sur l’accompagnement de ces mineurs, acteurs de crimes.
-Dans le code pénal, l’âge de la responsabilité pénale a été revu à la baisse, une manière pour les pouvoirs publics de maîtriser cette criminalité ?
Cet article 49 du code pénal, c’est notre point noir. Il représente une violation indirecte des droits de l’enfant et est contradictoire avec la convention internationale des enfants. Baisser l’âge de responsabilité pénale ne réglera rien. Au contraire, cette démarche aggravera de plus en plus la situation. La responsabilité pénale doit revenir à son véritable protecteur. J’estime que c’est une décision exagérée. En revanche, nous approuvons d’autres points forts du texte, comme le renforcement des peines allant de 5 à 15 ans d’emprisonnement pour les affaires liées à la vente d’enfants. Un phénomène existant mais peu visible. Car, le mécanisme d’accompagnement des mères célibataires qui décident de garder leur bébé est inexistant. Autre exemple : la suppression de l’exception accordée aux mères, autorisées à mendier avec leur bébé.
Peine de mort pour les meurtriers d’enfants : un vote passé inaperçu
La nouvelle est passée presque inaperçue et n’a suscité aucune réaction : mardi, les députés de l’APN ont pourtant voté pour la peine de mort, proposée par le ministère de la Justice, à l’encontre des kidnappeurs meurtriers d’enfants. La nouveauté ? Le législateur a introduit un article spécifique pour les enfants. C’est l’article 293 bis 1 du code pénal qui cite : «Quiconque par violence, menaces, fraude ou par tout autre moyen, enlève ou tente d’enlever un mineur de moins de 18 ans est puni de la réclusion à perpétuité. Si la personne enlevée a été soumise à des tortures corporelles ou si l’enlèvement avait pour but le paiement d’une rançon ou si la victime décède, le coupable est passible de la peine prévue à l’alinéa premier de l’article 263 du présent code.»
L’article 263 stipule : «Le meurtre emporte la peine de mort lorsqu’il a précédé, accompagné ou suivi un autre crime. Le meurtre emporte également la peine de mort lorsqu’il a eu pour objet, soit de préparer, faciliter ou exécuter un délit, soit de favoriser la fuite ou d’assurer l’impunité des auteurs ou complices de ce délit.» Si ce vote a fait si peu de bruit, c’est probablement parce que la peine de mort en Algérie n’est pas appliquée. Symboliquement, cette décision, que certains qualifient de «politique», est très lourde. Par ailleurs, au Parlement, les députés des partis islamistes ont demandé à ce que soit levé le moratoire. Sans doute pour répondre à la pression populaire qui a réclamé l’instauration de la peine de mort après la médiatisation des enlèvements et assassinats de Haroun, Brahim, Chaïma et bien d’autres.