la paix des braves
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LEXPRESS.fr du 01/02/2007
Algérie
La paix des braves?de notre envoyée spéciale Dominique Lagarde, avec Baya Gacemi
Un an après l'entrée en vigueur de la Charte de réconciliation nationale, de nombreux maquisards islamistes sont rentrés chez eux. Elle offre l'impunité aux protagonistes des «années de sang» et des indemnités aux victimes. Mais les blessures restent profondes
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u maquis, ils s'appelaient Jeddi, Saïd, Tahar et Larbi. Ces hommes de Kaous, une bourgade des environs de Jijel, à 450 kilomètres à l'est d'Alger, ont été parmi les premiers à prendre le chemin de la montagne. Au tout début, ils voulaient surtout se cacher. Reportage photoIl y avait eu une rafle à la mosquée, un vendredi de février 1992, peu après l'annulation par l'armée des élections remportées par le Front islamique du salut (FIS). L'état d'urgence avait été décrété dans tout le pays. «Nous étions recherchés, nous n'avions pas le choix», dit Jeddi, le plus âgé des quatre. Il avait à l'époque 37 ans et était marié. Saïd, à 26 ans, était encore célibataire. De même que Tahar et Larbi, qui n'avaient, eux, que 18 ans. Les parents de Tahar lui ont proposé de l'aider à aller en France. «J'ai préféré, dit-il, rester avec mes amis.» Les fuyards sont devenus des maquisards dans les derniers mois de 1993. C'est en effet à cette époque que s'organise, dans les montagnes autour de Jijel, l'Armée islamique du salut (AIS). «On habitait dans des grottes. Ou bien on construisait des casemates.» Ils n'ont jamais quitté la région. Originaire d'un hameau de la montagne passé sous le contrôle des maquisards, Tahar s'est même marié, pendant la guerre, avec la sœur d'un camarade de combat qu'il a installée dans la maison paternelle. Son troisième enfant, une petite fille, est venu au monde «le jour de la descente». C'était le 11 janvier 2000. L'AIS venait d'être dissoute. Les maquisards de Jijel rentraient à la maison. Non sans arrière-pensées. «Ce fut une décision difficile à prendre, se souvient Larbi. On nous avait promis que nous ne serions pas inquiétés, que nous retrouverions un travail. Beaucoup d'entre nous n'y croyaient pas. Mais nous nous disions aussi que le sang avait assez coulé.» Ils ont vieilli, aujourd'hui. Tous sont pères de famille; Jeddi et Saïd arborent de longues barbes poivre et sel. Dès que la Charte pour la paix et la réconciliation nationale est entrée en vigueur, il y a un an, Jeddi, qui travaillait autrefois à la direction de l'urbanisme de Jijel, s'est rendu au siège de la wilaya (préfecture) pour remplir un dossier afin de retrouver son poste. En attendant, il aide son frère qui tient une boutique de pièces détachées. Tahar, qui était technicien dans une entreprise publique, a demandé lui aussi sa réintégration. Saïd et Larbi «bricolent», ce qui, en Algérie, veut dire qu'ils font un peu de commerce. Aucun d'eux n'a de regrets. «Nous ne sommes pas des terroristes, ni des repentis. Nous défendions une cause juste», insiste Jeddi. «On n'a pas fait de dépassements [en clair, pas de massacres]», ajoute Saïd. De la trêve à la Charte21 septembre 1997 : L'Armée islamique du salut (AIS) décrète une trêve. L'Algérie officielle a décidé de pardonner. Ceux qui avaient pris les armes contre l'Etat sont invités à les déposer et à retrouver leur place dans la société. A la condition, en principe, de ne pas avoir commis de crime de sang. Mais il suffit d'une déclaration sur l'honneur que personne ne vérifie… Les militaires coupables de dérapages sont, de leur côté, à l'abri de toute poursuite. «C'est une amnistie qui ne dit pas son nom», reconnaît un juriste, l'un des inspirateurs de la Charte. Le texte organise l'indemnisation de toutes les victimes de la «tragédie nationale», qu'il s'agisse des survivants des massacres perpétrés par les terroristes, des familles de «disparus» enlevés par les forces de sécurité - plus de 7 000 - ou des parents des maquisards tués au combat. Il interdit aussi toute recherche de la vérité.
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