Actualités : SELON LE PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DES MANDATAIRES : «Les pommes de terre pourrissent dans les champs»
Selon M. Medjber, le président de l’Association des mandataires, que nous avons rencontré au cours de notre virée en fin de semaine au marché de gros des fruits et légumes des Eucalyptus, «la pomme de terre, qui est en surproduction, est en train de pourrir dans les champs».
Reportage de Fatma Haouari
Vendu sur pied à 10 DA le kilogramme et 15 DA au marché de gros, elle ne couvre même pas la moitié de son coût de revient. Selon notre interlocuteur, «beaucoup d’agriculteurs, blasés par cette situation récurrente qui attendaient que les autorités interviennent avant que les prix du tubercule ne connaissent une chute vertigineuse, ont préféré laisser leurs récoltes de pomme de terre moisir dans leurs champs que de faire le ramassage, et ce sont des quantités importantes qui sont ainsi laissées à l’abandon». Situation paradoxale que celle de la production de la pomme de terre. Ces derniers années, elle est soumise à un «effet yoyo». Tantôt, elle accuse une pénurie et tantôt, elle est en surproduction. Et dans les deux cas, la régulation du marché fait défaut. Le ministère de l’Agriculture vient juste de décider d’intervenir en réactivant le Syrpalac (Système de régulation des produits agricoles de large consommation) alors que la dégringolade des prix a commencé, il y a plusieurs semaines. La plus importante récolte de pomme de terre a inondé le marché au mois d’avril dernier. Pour le président des mandataires, ce système doit rester en veille, mieux, il doit être renforcé et toucher d’autres produits qui sont tout aussi essentiels que la pomme de terre. Celle-ci doit être stockée tous les trois mois, et c’est un bon procédé pour éviter la spéculation mais également de recourir à l’importation. Il a soutenu que «certains de nos fournisseurs, en l’occurrence des agriculteurs, ont décidé d’abandonner la production de la pomme de terre pour se reconvertir dans d‘autres cultures plus rentables. L’agriculteur paye tout : les ouvriers pour le ramassage, le transport, les impôts et en plus, il doit s’acquitter du droit d’accès qui change selon l’humeur des fonctionnaires et il arrive rarement à entrer dans ses frais !» a-t-il révélé. Il affirme que «souvent des produits de large consommation en surproduction sont ainsi jetés à la poubelle car leurs prix sont trop bas et qu’ils ne trouvent pas d’acheteurs» ! Un marché près d’une décharge publique Pour atteindre le marché de gros des fruits et légumes des Eucalyptus, c’est la croix et la bannière. Pour s’y rendre, on doit emprunter une longue et interminable piste, caillouteusecaillouteuse qui dissuade le plus téméraire des automobilistes. Seuls les audacieux chauffeurs de camions peuvent y accéder, non sans difficulté. Des bourrasques de poussière se créent au moindre souffle du vent chaud et suffocant en ce mois de mai, évoquant le far ouest et le no man lands américains. La dioxine embaume l’air irrespirable. Cet établissement, censé observer une hygiène impeccable, ressemble de l’extérieur à un grand chantier de travaux publics, jouxtant une décharge publique. Un simple coup d’œil renseigne sur l’indigence de la place. Les rats, les souris et les bestioles volantes et rampantes sont des locataires difficiles à déloger de cet endroit. Il est 10h 15. Un ballet de camions affluent de partout, chargés à ras bord de marchandises. Certains camionneurs ayant négocié leurs «butins» s’en vont, d’autres qui arrivent n’ont le droit d’entrer qu’après le payement du droit d’accès. Les agents de sécurité, qui déambulent à l’entrée en scrutant du coin de l’œil les faits et gestes des arrivants, ne tolèrent aucune entorse au règlement. Ils veillent au grain. Le ticket d’accès varie selon le poids du véhicule. Cela va de 200 à 800 DA. Un droit que les mandataires trouvent excessif car «les agriculteurs qui doivent constamment mettre la main à la poche pour payer les ouvriers des champs, pour le transport des marchandises supportent toutes les dépenses alors que les mandataires et les détaillants ne payent rien. C’est pour cette raison que souvent, et devant le peu de bénéfices qu’ils engrangent et qui permet à peine de couvrir leurs charges, que les agriculteurs ne s’embarrassent pas des règlements et vendent leurs récoltes sur pied au plus offrant qui se recrute parmi les marchands ambulants. Ces derniers tirent leur épingle du jeu en proposant des prix moins élevés et en faisant la tournée des cités urbaines. Un travail de proximité et un service très rentable. Les détaillants qui arpentent la grande allée regardent, jaugent la qualité avant de négocier le prix. Les carreaux s’alignent sur le même prix quand il s’agit d’un produit de qualité semblable. Tout le monde connaît tout le monde. Le négoce coule de source.» Jadis géré par les Français, d’ailleurs, «c’est eux qui ont instauré le système des commissions », nous indique le président des mandataires, ce marché alimente le centre, les wilayas limitrophes, l’Est et l’Ouest. Il arrive que certains agriculteurs fassent la navette deux fois par jour. Cela dépend de la cadence du travail de ramassage et du bon déroulement de l’acheminement des marchandises. C’est vers les aurores que tout doit être mis en place. Les mandataires ne perdent pas de temps. Ils doivent préparer leurs carreaux au nombre de 80 pour recevoir les cargaisons de fruits et légumes que leur confient les agriculteurs, moyennant commissions. Ils doivent les écouler à un prix satisfaisant. En période de surabondance, la difficulté d’assurer le bon équilibre entre le prix de vente et celui de revient devient patente. Tant que les prix sont libres La sempiternelle loi de l’offre et la demande trouve toute sa mesure. Et pourtant, selon M. Medjber, qui nous fait visiter son carreau, «le ministère du Commerce devrait veiller au grain et arrêter à chaque fois qu’il est interpellé d’invoquer que les prix sont libres. Il faut se référer à la facture. Nous prenons 8% de la vente, le détaillant doit prendre sa marge qui doit être spécifiée, or ce qui se passe, c’est que le détaillant gagne souvent plus que le producteur lui-même». Il soulève un autre problème : «Les importations tous azimuts des fruits et légumes de l’étranger.» «Cette démarche n’a aucun sens, On importe n’importe quoi même des oranges hors saison, soi-disant d’Egypte. Ce pays n’est pas producteur d’oranges, nous savons que le Liban et la Syrie sont des producteurs d’agrumes mais nous avons un doute sur la provenance de ces oranges qui sont d’ailleurs hybrides et n’ont aucun goût, Pourquoi importer de tels produits en devises fortes, qu’est-ce que cela nous apporte réellement ? En plus, ces produits échappent au contrôle. Idem pour les pommes, elles passent du bateau au marchand de détail. J’aimerais bien qu’on m’explique ce qui motive ces importations.» Nous poursuivons notre visite. Le marché a besoin d’être relooké. «On vient de nous rétablir l’eau, nous diton, elle était coupée. Les employés craignent de boire l’eau du robinet, elle a une couleur bizarre !» assurent-ils. Il semble que ce marché couve un conflit latent entre les mandataires et les gestionnaires de l’établissement mais personne n’en pipera mot. Il y a comme une odeur de soufre mais nous ne nous appesantirons pas sur le problème car ce n’est pas l’objet de notre reportage. Sous le regard curieux des marchands, nous avançons lentement dans les 80 carreaux des mandataires qui négocient, calculatrice en main, avec les détaillants. Le sexe féminin est absent de ce marché. A croire que les femmes n’ont pas encore décidé d’investir le créneau, à moins que ce soit une chasse gardée. On négocie au quart de tour. Les tractations sont vite bouclées. Le temps est précieux. Les produits ne doivent pas traîner dans le coin. Il faut vite les prendre, s’assurer que tout est en règle pour prendre la route. Le soleil qui tape est un ennemi redoutable. Tout se fait de manière urgente. Certains mandataires semblent, à leur mine réjouie, avoir fait de bonnes affaires pour la journée alors que d’autres, dont les locaux sont encore achalandés à 11h 30, montrent des signes de panique. Un mandataire regarde tristement sa cargaison de laitue. Il est «aux abois». Vendue à 10 DA le kilo, sa marchandise ne trouve pas preneur, et comme ce légume gâte rapidement, il n’a pas d’autre choix que de se résigner à le «balancer aux ordures». «Je suis obligé de la jeter à la poubelle», nous dit-il avec désappointement. M. Medjeber intervient en affirmant : «Nous avons demandé aux responsables du Parc zoologique de venir prendre gratuitement pour les animaux les fruits et légumes qui perdent de leur fraîcheur. Ils nous ont dit qu’ils n’étaient pas intéressés par ces produits et qu’ils préféraient acheter ailleurs. Quant au directeur du Jardin d’Essai, poursuit-il, il est venu une seule fois, il a rempli un camion mais il n’est plus revenu depuis». La pomme de terre n’est pas le seul légume à être en surproduction, en plus de la laitue, il y a également l’oignon cédé à 7 DA, la tomate entre 10 et 20 DA, la courgette à 5 DA et l'ail à 20 DA. Les fruits restent toujours chers. Les nèfles de cette saison ne sont pas de bonne qualité. Disposées dans certains carreaux dans un coin, elles ne payent pas de mine. Elles sont toutes flétries et rabougries. «Elles ont été brûlées par le sirocco», nous apprend-t- on, avant d’ajouter : «elles sont foutues !» Que de pertes ! Au fait ! Le mois de Ramadan est aux portes ! Les prix des légumes, qui sont vendus au prix bas vont sûrement grimper, comme d’habitude. F. H.
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