Loi sur la burqa : avis défavorable du Conseil d'État
14/05/2010
| Loi sur la burqa : avis défavorable du Conseil d'État
Une femme portant le niqab devant le palais de justice de Lyon. Crédits photo : © Rolland QUADRINI
La haute juridiction estime qu'une interdiction globale ne reposerait sur «aucun fondement juridique incontestable».
Le Conseil d'État a émis un «avis défavorable» au projet de loi du gouvernement visant à interdire complètement le port du voile intégral. Selon nos informations, les Sages réunis en assemblée mercredi, en présence du secrétaire général du gouvernement, ont une nouvelle fois expliqué, comme dans leur étude remise il y a un mois à Matignon, qu'«une interdiction absolue et générale du port du voile intégral en tant que telle ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable» et qu'elle serait «exposée à de fortes incertitudes constitutionnelles et conventionnelles».
«Pas une surprise»
La Cour européenne des droits de l'homme a consacré le «principe d'autonomie personnelle» selon lequel chacun peut mener sa vie selon ses convictions, y compris en se mettant physiquement ou moralement en danger. Dès qu'il y a consentement, il devient donc difficile d'invoquer la dignité de la femme pour fonder une interdiction générale, avaient analysé les Sages dans leur étude. De la même façon, la restriction des libertés au nom du «Vivre ensemble» «serait sans précédent». Un pari juridique qu'ils n'avaient pas voulu prendre, préférant des interdictions sectorisées. «La sécurité publique et la lutte contre la fraude, renforcées par les exigences propres à certains services publics, seraient de nature à justifier des obligations de maintenir son visage à découvert, soit dans certains lieux, soit pour effectuer certaines démarches», avait alors expliqué le rapporteur, Olivier Schrameck, l'ancien directeur de cabinet de Lionel Jospin. Cette fois, c'est la section de l'Intérieur qui a examiné le projet de loi, pour parvenir aux mêmes conclusions.
«Ce n'est pas une surprise», fait-on savoir à Matignon. «Cela n'entame en rien la détermination du gouvernement à faire évoluer la législation sur ce sujet.» Le gouvernement va passer outre l'avis du Conseil d'État, qui n'est que consultatif. «Il faut assumer les risques juridiques de nos convictions», avait anticipé François Fillon .
La loi au Parlement début juillet
Dans l'exposé des motifs de son projet de loi, que Le Figaro s'est procuré, le gouvernement justifie ainsi son choix d'une interdiction globale : «L'édiction de mesures ponctuelles, se traduisant par des interdictions partielles limitées à certains lieux ou à l'usage de certains services, n'aurait constitué qu'une réponse affaiblie, indirecte et détournée au vrai problème que pose, à notre société, une telle pratique.» Pour bannir le port du voile intégral, les rédacteurs du texte évoquent la notion de dignité de la personne humaine - quand bien même certaines femmes seraient consentantes -, celle de l'ordre public dans son acception large, celle du vivre ensemble, et enfin les questions de sécurité. En somme, ils cumulent les motifs pour interdire le voile intégral.
Ce projet de loi sera présenté mercredi en conseil des ministres. Et devrait être examiné début juillet par les députés et début septembre par les sénateurs, l'objectif étant de le voir adopté définitivement à l'automne. Mais si les députés ont voté à l'unanimité mardi la proposition de résolution du groupe UMP condamnant le voile intégral, comme «attentatoire à la dignité» et «contraire aux valeurs de la République» le consensus s'arrête là . Les socialistes ont déposé leur propre proposition de loi qui préconise une interdiction du port du voile intégral limitée à certains lieux publics. «L'interdire sur l'ensemble de l'espace public ne sera pas opérant, risque d'être stigmatisant et surtout d'être totalement inefficace car inappliqué», a déclaré Martine Aubry.
Si elle est adoptée, la loi devrait entrer en vigueur six mois après sa promulgation, soit au printemps 2011. Car le gouvernement veut croire qu'il n'y aura pas soixante députés pour s'exposer sur la burqa en saisissant le Conseil Constitutionnel. Les premiers contentieux et une éventuelle question préalable de constitutionnalité ne devraient surgir que plus tard. «Ce sera juste avant les élections présidentielles et je pense que le Conseil constitutionnel portera une vision juridique et politique sur ce sujet», pronostique un ministre. En clair, qu'il ne retoquera pas une loi qui invoque la dignité des femmes et le vivre ensemble.
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