Manifestations en Iran : le Mouvement vert est-il de retour ?
16/02/2011 / IRAN
Manifestations en Iran : le Mouvement vert est-il de retour ?

"En cas de manifestations, il y aura de la violence. J’ai peur pour mon pays"

J'ai été très surpris par la foule qui est descendue dans la rue lundi en dépit de notre expérience traumatisante de répression sanglante. Selon mes estimations, il y avait au moins 10 000 personnes. Je pense qu'après une année calme, les autorités croyaient que plus personne n’oserait sortir dans la rue et ont été prises par surprise.
Dans un premier temps, les gens ont convergé silencieusement, en groupes dispersés, vers le centre-ville. Le but était d'éviter d'attirer trop l'attention, évidemment, mais aussi de créer une atmosphère pacifique. Les choses ont pourtant dégénéré vers la fin de l'après-midi : je crois que la police et les Bassidjis ont délibérément acculé les manifestants dans les petites rues entre les places Enghelab et Azadi pour déclencher la bagarre et leur infliger le plus de dégats possibles.
Certains manifestants ont également été très violents : une vidéo montre un Bassidji capturé et lynché par la foule. Le peuple d'Iran a peur mais, désormais, sa colère est plus grande que sa peur. Ce qui s'est passé lundi est un signe que si la colère est libérée, tout va exploser.
S'il y a plus de manifestations, la violence va devenir inévitable - à la fois du côté des autorités et de l'opposition. Le fossé entre les deux blocs se creuse : certains députés du gouvernementdemandent l’exécution des leaders de l’opposition [Mir Hossein] Moussavi et [Mehdi] Karroubi et certains manifestants appellent maintenant ouvertement à la fin du régime des mollahs. J'ai très peur pour mon pays. Si un mouvement massif de protestation recommence, cette fois, cela pourrait tourner à la guerre civile."
Des manifestants à Téhéran, lundi, lynchent un homme pour son appartenance supposée à la milice islamique des Bassidjis. Vidéo postée sur YouTube par TEHRRAN.
“Ces manifestants demandent la fin du regime islamiste, pas seulement des elections libres et transparentes.”

Tard dans la nuit de lundi, il y a eu un débat houleux sur la page Facebook 'Bahman 25' ('14 février', dans le calendrier persan) sur le fait d'appeller à descendre dans la rue ou pas. Tout le monde sait que c'est dangereux - selon certains bilans, au moins 1 500 personnes ont été arrêtées lors des manifestations de lundi - mais en même temps, le peuple iranien est profondément malade et fatigué à cause de ce gouvernement.
Les administrateurs de cette page Facebook eux-mêmes - la plupart sont de jeunes Iraniens exilés - n'ont pas appelé à une nouvelle journée de protestations, mais de nombreux étudiants de Téhéran ont organisé un rassemblement le mercredi 15 en l'honneur de Sane Jaleh, un étudiant en art tué lundi par les GRI [Gardiens de la révolution islamique]. Il y aura donc peut-être plus de manifestations dans les prochains jours. [Mise à jour après l'entretien : les étudiants et les membres de la milice islamique des Bassidjis se sont affrontés à l'université d'art de Téhéran, mercredi 16 février, au cours des funérailles de Sane Zhaleh. Plusieurs personnes auraient été arrêtées].
Beaucoup de gens ne veulent plus être étiquetés comme appartenant au Mouvement vert
Le problème est que ces manifestations manquent de leadership. Karroubi et Moussavi sont devenus trop lents et prudents pour le mouvement populaire. Aujourd'hui, les Iraniens - en particulier les jeunes, la classe moyenne et les Iraniens urbains - n'en peuvent plus d'Ahmadinejad et de son régime islamiste. Ils veulent s'en débarrasser complètement. Il y a une vidéo des manifestations lundi montrant certaines personnes scandant : 'À bas le régime islamiste'. Il s'agit d'un phénomène nouveau. Jusqu'à présent, les dirigeants réformistes ont appelé à des élections libres et équitables, mais n'ont encore jamais remis en question le principe du régime islamique. C'est peut-être l'une des raisons pour laquelle il y avait si peu de vert dans les manifestations, lundi, car la couleur est associée à Moussavi et à son parti. Aujourd'hui, ceux qui vont dans la rue ont un programme différent. Beaucoup de gens ne veulent plus être étiquetés comme appartenant au Mouvement vert."
Billet écrit en collaboration avec Lorena Galliot, journaliste à FRANC