partage des compétences en santé

Pour soigner les maux du réseau - Le partage des compétences en santé

Photo : Archives Le Devoir
La pénurie est là pour de bon dans le réseau de la santé, prévient Québec. Faut-il pour autant s'y résigner? À défaut de recrues ou d'argent frais, assurons-nous au moins d'utiliser de la meilleure façon possible toutes les compétences du réseau, font valoir de nombreuses voix, qui plaident pour une révolution du bon sens.

La Dre Andrée Boucher n'en démord pas: les soins de santé du XXIe siècle seront collectifs ou ne seront pas. Selon elle, la «pratique collaborative» a le pouvoir de révolutionner notre réseau sous perfusion, pour peu qu'on consente à donner sa chance «au véritable travail interprofessionnel», soit celui «qui non seulement est centré sur les besoins du patient malade et de ses proches, mais qui va lui permettre de s'impliquer dans les décisions thérapeutiques».

La vice-doyenne de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal a fait valoir son point de vue le mois dernier à la publication d'un rapport conjoint des 17 facultés de médecine du Canada, qui ose faire du partage des compétences le point d'ancrage de la médecine de l'avenir. Une approche qui s'inscrit parfaitement dans l'air du temps en offrant «une réponse» à la «pénurie de ressources humaines» qui touche cruellement tous les milieux cliniques, faisait alors valoir la Dre Boucher.

La balle a été reprise au bond la semaine dernière par la présidente de l'Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ). Diane Lamarre a la ferme conviction que sa profession a le pouvoir d'oxygéner le réseau. Mais pour cela, il faut que Québec accorde plus de latitude aux pharmaciens, ce qu'il ne semble pas près de faire. Interrogé à ce propos, le cabinet du ministre de la Santé a en effet dit qu'il n'était pas prêt à parler de nouveaux rôles pour les pharmaciens. Il dit vouloir d'abord régler le contentieux des ordonnances collectives, qui oppose justement le triumvirat médecin-infirmière-pharmacien. 

Déception

La réponse a déçu Mme Lamarre. «Nos demandes sont directement liées aux besoins de la population. Ce n'est pas un caprice, c'est un changement nécessaire, obligatoire dans les circonstances présentes.» L'idée est très simple: donner aux pharmaciens la possibilité de tirer le maximum de leurs compétences en leur permettant de prolonger, d'ajuster ou même d'amorcer des ordonnances pour des problèmes de santé simples. «Nous pensons pouvoir ainsi éviter des visites à l'urgence, libérer des heures de consultation en première ligne et diminuer l'absentéisme», explique Mme Lamarre.

Une étude ontarienne a permis de mesurer l'importance des gains qui pourraient ainsi être réalisés. En introduisant cinq nouvelles fonctions — dont la gestion de problèmes de santé mineurs, comme l'infection urinaire et le suivi de certaines maladies chroniques comme l'asthme —, l'État pourrait économiser 72 millions de dollars. Et du même coup, réduire de 1,2 million les rendez-vous chez le médecin, et ce, seulement la première année.

Un tour de force

Autres professionnels, autres gains. Une étude rendue publique cette semaine a montré que l'introduction d'une infirmière praticienne a considérablement allégé les choses à la clinique de soins primaires de Waneta, en Colombie-Britannique. Le Dr Blair Stanley, attaché à cette clinique, y note que les patients se rendent moins souvent à l'urgence, sont moins souvent admis à l'hôpital et bénéficient d'un meilleur accès aux services de santé, souvent le jour même ou le lendemain. Mieux, la clinique a pu accueillir 600 nouveaux patients, un tour de force en ces temps de pénurie où la majorité des cliniques affichent complet depuis des années.

Une autre étude publiée le même jour illustre comment les allers-retours incessants des ambulances entre l'hôpital Credit Valley et le centre de longue durée de Mississauga Halton, en Ontario, ont chuté radicalement le jour où des infirmières praticiennes ont fait leur apparition dans l'établissement. Grâce à leurs bons soins, l'établissement calcule que 88 % des patients nécessitant des soins immédiats ont pu éviter un transfert aux urgences et, du coup, un séjour impersonnel à l'hôpital, par ailleurs autrement plus coûteux pour l'État.

Chez nous, l'introduction timide, voire quasi confidentielle, d'infirmières praticiennes spécialisées dans certaines unités de néonatalogie, de néphrologie et de cardiologie a permis aux médecins spécialistes de se décharger de tâches plus simples pour se consacrer aux cas plus lourds et voir plus de patients. Ces gains, encore marginaux, font rêver les médecins de famille, qui réclament en vain des infirmières praticiennes de première ligne pour les épauler dans leur cabinet. 

La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) en a d'ailleurs fait un point majeur de sa négociation avec Québec, à qui elle demande une infirmière pour chaque médecin en cabinet. «Une des façons de favoriser notre pratique est de nous donner du soutien», explique son président, le Dr Louis Godin. Et pas seulement du côté des alliées naturelles que sont les infirmières, mais aussi du côté de «tous ceux qui ont des expertises en santé», y compris le pharmacien, précise-t-il. 

Le malheur, c'est que Québec n'a toujours pas pris le virage du partage des compétences malgré tous ses discours en ce sens. Il en aurait pourtant les moyens avec la loi 90, qui a permis de décloisonner les champs de pratique en santé. Mais voilà, les négociations entre les trois ordres concernés (médecins-infirmières-pharmaciens) piétinent. Quant aux infirmières praticiennes de première ligne qui, par centaines, font des miracles en Ontario ou en Colombie-Britannique, elles se font toujours attendre au Québec, faute de financement dans les universités, comme sur le terrain.

Pour le critique en matière de santé de l'opposition officielle, Bernard Drainville, la faute en incombe au ministre de la Santé, Yves Bolduc, qui n'a jamais joint le geste à la parole. «On ne peut pas se contenter de confiner les infirmières au rôle qu'elles occupent présentement. Il va falloir qu'on décide comme société de leur donner le rôle qu'elles méritent et qui va permettre de contribuer à soigner des gens dans leur communauté.»

Idem pour le pharmacien, dont le rôle doit impérativement faire l'objet d'un débat, croit le député péquiste de Marie-Victorin. «Si la question qui se pose est celle de l'accès à un professionnel de la santé, il est normal de penser d'abord au médecin, car c'est lui qui a reçu la formation la plus longue, la plus pointue, la plus complète. Mais certains soins plus simples peuvent être donnés par d'autres professionnels, en appui aux médecins. Il faut que les différents maillons de la chaîne se lient les uns aux autres.»

Et le patient ?

Sur les bancs de l'Université de Montréal, la vision collaborative est devenue une réalité pour les étudiants du prégradué de sa faculté de médecine. Ceux-ci partagent certaines activités d'apprentissage avec les étudiants des facultés de pharmacie, de sciences infirmières et d'art et science. «Ils apprécient beaucoup cela, affirme la Dre Boucher. Il nous reste à augmenter la quantité et le niveau de ces activités de formation là pour la résidence et le développement professionnel continu.»

Malgré tout, ces efforts risquent de tomber à plat si le réseau ne change pas, croit la présidente de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), Gyslaine Desrosiers. «C'est une évidence qu'il faut que toutes les compétences soient utilisées au mieux. Mais en ce moment, entre le principe et l'application, il y a un monde.» 

C'est aussi l'avis du président-directeur général du Collège des médecins du Québec, le Dr Yves Lamontagne, qui ne cache pas son exaspération. «Je crois toujours au triumvirat médecin-infirmière-pharmacien, mais je pense qu'il n'y a pas de volonté politique à Québec pour y donner suite.» Le Dr Lamontagne n'aime pas non plus la tournure qu'ont prise les négociations.

Le Collège accuse les pharmaciens de manquer d'ouverture vis-à-vis des infirmières en réclamant l'exclusivité de certains actes qui sont pourtant naturellement plus près des réalités cliniques des infirmières. Sans vouloir commenter ces tiraillements, la présidente de l'OIIQ déplore elle aussi la tangente prise dans les discussions. «C'est dommage, car c'est le patient qui en paie le prix.»

D'autant qu'en définitive, le repartage des compétences le concerne lui aussi intimement puisqu'il en est la finalité. Le patient et sa famille sont en effet vus comme des partenaires actifs dans le plan de soins de la médecine collaborative défendue par les facultés canadiennes. Pour peu qu'on leur prête l'oreille...



13/03/2010
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