Une nouvelle génération pour l’Eglise d’Algérie

   

Une nouvelle génération pour l’Eglise d’Algérie






Marquée par des figures de religieux qui ont consacré toute leur vie à l’Algérie, la petite Église algérienne s’est ouverte à de nouvelles réalités plus cosmopolites

« Vous cherchez Ghislaine ? Suivez-moi, je vous emmène chez elle ! » Dans le quartier algérois de Kouba, Ghislaine Vouguet, 72 ans, est connue de tout le voisinage. Née ici, elle a quitté l’Algérie en 1969, pour revenir trente ans plus tard passer sa retraite parmi ses « compagnons pétris de la même terre ».

Cette ancienne enseignante accompagne aujourd’hui bénévolement des dizaines d’étudiants algériens. « Je ne prends jamais la plume à leur place mais les aide à s’exprimer personnellement. C’est magnifique de voir émerger leur aspiration à choisir leur vie en conscience. » Immergée dans le quotidien algérien, Ghislaine est aussi engagée dans sa paroisse, qui compte quelques dizaines de fidèles.

Le curé, Marcel Bois, 85 ans, est une autre personnalité dans le paysage algérois. Ce Savoyard d’une grande simplicité, arrivé comme Père Blanc en 1961 en Algérie, est un linguiste renommé, traducteur des plus grands romanciers arabes. « Ici, nous sommes ramenés à notre vocation première, souligne-t-il. Aider un homme à prendre toute sa dimension économique, intellectuelle, spirituelle. »

«Que fait cette Église si petite en Algérie ?»

Comme Ghislaine ou Marcel, l’Église d’Algérie – quelques milliers de catholiques sur 30 millions d’habitants – porte l’empreinte humble de ces chrétiens qui ont consacré leur vie au peuple algérien, résistants des deux grandes hémorragies de l’Église algérienne : l’indépendance, puis les années noires du terrorisme dont le pays est encore très meurtri.

Cette génération est en train de vieillir et s’éteint peu à peu. Flamande de 76 ans, Trees est la dernière Sœur Blanche de Constan tine. Depuis vingt ans, elle vit seule dans un quartier périphérique. Les religieuses de la Doctrine chrétienne, première congrégation féminine d’Algérie, ont dû fermer leur maison constantinoise l’an dernier.

« Parfois, remarque Mgr Ghaleb Bader, archevêque d’Alger, on peut se demander : que fait cette Église si petite en Algérie ? Mais les funérailles la semaine dernière de Pierre Lafitte, un prêtre très discret qui travaillait dans une bibliothèque, ont révélé au grand jour le sens de ce service obscur : la cathédrale était bondée, pour les trois quarts des étudiants musulmans qui ont prié et apporté des témoignages bouleversants ! »

«Parfois je suis gêné de notre traditionnelle discrétion»

Mgr Bader s’interroge aujourd’hui sur la relève, d’autant que les visas sont de plus en plus difficiles à obtenir pour les missionnaires étrangers. Comme d’autres confrères, il est en dialogue avec plusieurs communautés nouvelles, Chemin-Neuf, Emmanuel…

Il s’agit de trouver « de nouvelles formes de service et de rencontre » du peuple algérien, appuie le P. Jean Toussaint, prêtre de la Mission de France, qui cite l’expérience des coopérants : « Plus jeunes, en couple, laïcs engagés dans la société, ils offrent une image plus courante et plus représentative de ce que sont les chrétiens. » Ainsi, à Ghardaïa, une famille envoyée pour deux ans par la Délégation catholique pour la coopération (DCC) est arrivée quelques jours avant Noël avec ses trois enfants.

À nouveaux visages, nouvelles manières de vivre son engagement chrétien. « Parfois je suis gêné de notre traditionnelle discrétion lorsqu’il faudrait dénoncer certaines situations de pauvreté avec plus de force », s’enflamme Jean-François Debargue.

La majorité des paroissiens vient d’Afrique subsaharienne.

Après avoir élevé ses quatre enfants, cet ancien fermier normand, volontaire DCC, a vécu pendant deux ans en immersion dans les camps sahraouis. Aujourd’hui secrétaire général de la Caritas à Alger, il développe de nombreux projets de promotion de la femme et de solidarité auprès des migrants.

Moins exclusivement française, de plus en plus cosmopolite, l’Église d’Algérie est aujourd’hui à un tournant. À Tizi-Ouzou en Kabylie, les Pères Blancs sont polonais, maliens, néerlandais… Plus significatif encore, la majorité des paroissiens aux quatre coins de l’Algérie vient d’Afrique subsaharienne.

«Ces étudiants sont les piliers de notre Église. Et ce sont eux aujourd’hui qui sont aux avant-postes pour témoigner de leur foi», remarque le P. Michel Guillaud, curé de Batna, qui vit en communauté avec une laïque et une religieuse. Camerounaise en quatrième année de médecine, Sarah dit avoir été attirée à la paroisse par « la chaleur d’une deuxième famille après la séparation douloureuse d’avec les parents ».

La vie de tous les jours «parle d’elle-même»

Pour cette protestante, c’est aussi « la confrontation avec les musulmans » qui a renforcé sa foi : « à mon arrivée, les autres étudiantes m’ont invitée pour me convaincre d’embrasser l’islam. Cela m’a poussée à m’interroger sur les raisons pour lesquelles je suis chrétienne et tiens à le rester. »

Aujourd’hui, elle affirme avoir de nombreuses amies musulmanes. Yolande, elle aussi en médecine, confirme : « Les musulmanes sont d’abord étonnées, car, pour elles, “chrétien” égale “pécheur”. Mais lorsqu’elles frappent à ma chambre et me voient prier, lorsqu’elles me voient droite dans mes valeurs, elles s’interrogent. » Pour Yolande, la vie de tous les jours « parle d’elle-même », plus que « les grands débats théologiques ».

Si elle a longtemps semblé hésitante face aux sollicitations des Algériens demandant à mieux connaître le christianisme, l’Église d’Algérie a aujourd’hui à cœur d’accompagner et de former ces quelques dizaines de néophytes isolés et dispersés.

«Une quête de liberté de conscience et de pluralisme»

« Nous avons à poursuivre notre vie fraternelle, gratuite au service du peuple algérien, souligne Mgr Bader, mais en même temps à ne pas fermer la porte à ceux qui demandent à connaître le Christ. Cela aussi fait partie du respect de la liberté de conscience. »

Reste que ces parcours individuels n’ont pas l’ampleur des conversions dans les rangs évangéliques, spécialement en Kabylie, et demeurent vécus de manière clandestine. Mais ils semblent bénéficier d’une fragile ouverture. La presse algérienne s’est saisie à plusieurs reprises de la question : Algérien et chrétien, pourquoi pas ?

Précaire, cette réalité s’inscrit, de fait, dans un contexte plus large. « À côté de l’emprise croissante du salafisme, analyse Mgr Paul Desfarges, évêque de Constantine, la société algérienne est travaillée par une quête de liberté de conscience et de pluralisme. »

En témoigne à ses yeux le soutien inédit reçu par les non-jeûneurs du Ramadan lors de leur récent procès. « Sans vouloir être chrétiens, de nombreux Algériens cherchent une identité plus libre dans un monde pluriel. »
Madeleine CARTIER, à Alger, Constantine, Batna

23/12/2010 17:30

Les évangéliques sont présents surtout en Kabylie



Les évangéliques sont entre 30 000 et 40 000 en Algérie. La plupart sont kabyles. « Revendiquant leurs origines berbères, ils se sentent moins marqués que les Arabes par l’islam, mais le phénomène ne se réduit pas à la Kabylie », explique le P. Dominique Motte, dominicain à Alger. Certains ont entendu parler du Christ par la télévision. D’autres ont été évangélisés par des pasteurs itinérants venus de l’étranger.

Principale difficulté pour ces communautés : trouver des lieux de culte, les autorités leur refusant les permis de construire. Un pasteur de Haute-Kabylie a ainsi été récemment condamné pour «ouverture d’un lieu de culte non musulman sans autorisation».

En Kabylie, où demeurent des poches de terrorisme, ces Églises sont aussi en butte à l’hostilité des islamistes. L’an dernier, celle du pasteur Mustapha Krirech a été vandalisée à Tizi Ouzou.
Madeleine CARTIER, à Alger



29/12/2010
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