Dans les milieux officiels concernés, des voix autorisées estiment que la sardine est bien présente dans les eaux algériennes, et en admettant qu’elle soit allée plus loin vers des eaux plus chaudes, elles posent la question de savoir pourquoi, en revanche, les pêcheurs ne se donnent pas la peine de changer leurs habitudes et de passer plus de temps pour la pêcher.
Dans les milieux proches de la pêche, tout le monde semble en tout cas s’être mis d’accord au moins autour de deux points que l’on s’est dit prêts chaque fois à nous démontrer séance tenante, à coups de chiffres et de règles scientifiques. Primo : la sardine serait devenue hors de prix parce qu’on ne la trouve plus aussi rapidement comme avant. Elle a fui, la sardine. Insaisissable. Elle serait allée s’enfouir dans des eaux plus chaudes que les pêcheurs ne connaissent pas.
Et quand on l’attrape aujourd’hui, elle ne fait pas même le quart de la quantité qu’on ramassait dans les filets, il n’y a pas si longtemps. Secundo : à part la sardine, le poisson en général serait un produit de luxe, pour qui ne le sait pas encore.
Entre ces deux explications plausibles se greffent d’autres paramètres fortement probables, sinon les plus déterminants, à savoir la spéculation, bien sûr, le peu d’emballement pour le métier de pêcheur au sens professionnel du mot, et si un attrait quelconque existe, alors ce sont très souvent les moyens qui manquent.
Quant aux ressources elles-mêmes, il est de plus en plus évident qu’une surexploitation des mêmes zones de pêche durant des années, pour de multiples raisons, a conduit inévitablement à une rareté plus importante du poisson offert sur les étals des marché. Une récente étude a même révélé que pas loin de 22 000 hectares de la superficie maritime algérienne pêchable n’ont jamais été exploités.
Une courte virée en mer à bord d’un sardinier nous a tout de même édifié sur le côté rébarbatif de ce métier, rude, pénible, où les hommes travaillent la nuit et dorment le jour, car sinon il serait impossible de pêcher la sardine qui ne s’arrête de se déplacer à la vitesse de l’éclair qu’une fois le jour tombé. “Nous exerçons notre travail avec des moyens rudimentaires”, nous confie Rachid, le patron de pêche et capitaine du sardinier, un bateau de 18 mètres, vieux de près de vingt années. Un petit récepteur télé nous indique la présence du poisson dans les eaux, sans autres détails. “Dans de nombreux pays, maintenant la sardine est pêchée en très grandes quantités parce que les pêcheurs disposent de bateaux puissants qui permettent de suivre la sardine à très grande vitesse, et sont équipés de détecteurs modernes qui donnent l’emplacement exact d’un banc de sardines à trois kilomètres de distance, ce qui permet pour le moins un gain de temps inestimable ; car on y va tout droit, on pêche et on revient décharger”, ajoute Rachid. Le moteur fait un bruit infernal, et la houle fait tanguer furieusement le bateau qui file doucement (4 à 5 nœuds), ce qui oblige les dix-sept pêcheurs du sardinier à se cramponner un peu partout.
Une flottille vieille de plusieurs années
Avant d’embarquer, l’armateur lui-même nous avait dit son embarras de ne pouvoir se payer un vrai sardinier, qui serait amené à l’état neuf des chantiers espagnols, un 24 mètres ultramoderne. “Les délais de remboursement du prêt sont bien trop courts. Cinq années pour rendre environ 12 milliards de centimes ! C’est pratiquement impossible. Je vois ceux qui ont emprunté, ils sont coincés jusque-là”, nous a expliqué Dahmane, l’armateur.
Nous revenons bredouilles après plus d’une heure passée au large. À peine quelque 5 à 6 kilos de sardines ont été remontés prestement par une dizaine de gaillards s’escrimant avec les cordes et le filet (400 m de long sur 40 de profondeur). Le bateau essayera une autre virée au milieu de la nuit pour retourner vers 3 heures au quai, vide une nouvelle fois. Cela fait neuf mois que dure une situation que les pêcheurs n’hésitent pas à qualifier de véritable phénomène de la nature. Il existe cependant d’autres façons de voir les choses beaucoup moins tranchées que celle qui consiste, par exemple, à affirmer que la sardine a déserté les côtes algériennes.
Des voix autorisées dans les milieux officiels concernés estiment d’abord que la sardine est présente, et en admettant qu’elle soit allée plus loin vers des eaux plus chaudes, la question posée est de savoir pourquoi, en revanche, les pêcheurs ne se donnent pas la peine de changer leurs habitudes et de passer plus de temps pour la pêcher, s’il le faut. “Le mazout nous revient trop cher, d’une part”, précisent justement ces derniers. Une semaine à pêcher tous les jours et la facture hebdomadaire en carburant monte à 40 000 DA, voire bien plus, au risque qu’il n’y ait aucune contrepartie.
Et d’autre part, s’il est possible de suivre jusqu’au bout les périples lointains de ce poisson tant convoité par les Algériens qu’est la sardine, dans l’état actuel de leur matériel désuet (bateaux et appareillages maritimes) les pêcheurs algériens, eux, dans leur quasi-totalité ne pourront que continuer à tourner en rond, et n’y arriveront jamais. En somme, la plupart de ces pêcheurs n’ont pas engagé un renouvellement de leurs procédés techniques de pêche et d’une flottille vieille de plusieurs années, le volume de production ne permettant plus depuis bien longtemps de couvrir la demande des consommateurs. La vétusté des procédés et des bateaux n’offre pas non plus les garanties d’une sardine de qualité.
Le littoral, un lieu très accidenté
Aujourd’hui, par conséquent, il apparaît que par la force des choses, les pêcheurs se contentent — face à une situation exceptionnelle, peut-être inévitable dans le temps après tout — de multiplier autant de fois qu’il le faut le coût pour supplanter le manque ou l’absence du produit (induite notamment par l’absence de moyens), et continuer à gagner leur vie, imposant de facto sur le marché un prix amplement rédhibitoire et défiant tout entendement.
Cela dit, une fois le poisson débarqué, un autre circuit spéculatif et très peu rationnel par essence fait encore grimper les prix en flèche, la rareté du produit étant un prétexte tout trouvé pour faire de la surenchère sans retenue. Finalement, il s’agit là d’un débat qui ne relève plus seulement de la pêche proprement dite.
En tout état de cause, le poisson en général reste exposé à cette combinaison de contraintes, avec en plus un autre particularisme : le poisson est rare en Méditerranée, à vrai dire et, ajoutent les spécialistes, l’Algérie a sa propre morphologie qui fait de son littoral un lieu très accidenté sur la côte, les baies mises à part, et ne permet pas la pêche au chalutage.
Cela donne un plateau continental réduit, tout le temps rétréci par cet aspect accidenté des côtes. Actuellement, sur les 1 280 km de côtes et une superficie maritime de plus de 9 millions d’hectares, seulement 2,2 millions sont exploités, indique-t-on au niveau du ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques. “L’Algérie possède une belle variété de faciès (de poissons différents) qui crée la richesse, ou la biodiversité. En même temps cette difficulté des faciès ne génère pas forcément la quantité. Le stock pêchable se retrouve réduit d’autant, et directement lié à l’offre qui est faite par la mer”, nous précise Kamel Alem, directeur des pêches maritimes et océaniques du même ministère.
Cette offre a été évaluée en 2003/2004 par un bureau d’études espagnol, mandaté par le gouvernement algérien, à 600 000 tonnes. Sur cette biomasse ainsi quantifiée, l’Algérie doit également s’astreindre à une limite de réserve pêchable évaluée à environ un tiers ou 33 % (sur les 600 000 t), et permettre aux deux tiers restants de renouveler la ressource halieutique, selon des règles scientifiques universelles.
Par une relation de cause à effet (biodiversité très riche mais limitée et rareté du poisson haut de gamme comme la crevette, la langouste…), le poisson en Algérie devient assimilé donc à un produit de luxe.
De fait, la consommation actuelle du poisson en Algérie est estimée à 5,2 kilogrammes/an par habitant, tandis que le seuil minimal recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est de 6,2 kilogrammes/an par habitant. L’écart est établi. C’est là que doit intervenir l’aquaculture.
Z. F.
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