Le cœur de Jean-Robert est resté là -bas, en Algérie
Publié le 12/04/2012 à 06h00 Par Guy Brunetaud |
Marmande
Le cœur de Jean-Robert est resté là-bas, en Algérie
Avec pudeur, Jean-Robert Monjo revient sur ce qui restera une cicatrice à jamais ouverte, l'Algérie, pays de son enfance qu'il a dû quitter à 20 ans. Cinquante ans plus tard, la douleur est toujours aussi vive. Témoignage.
Jean-Robert Monjo a enseigné deux ans en Kabylie. (Photo Guy Brunetaud)
Quelques jours avant l'indépendance officielle de l'Algérie, Jean-Robert Monjo quittait sa terre natale, avec pour seul bagage une valise. Cinquante ans, c'est déjà loin, et pourtant les souvenirs ne sauraient s'effacer pour Jean-Robert, né le 24 décembre 1942, à Réghaïa, dans l'Algérois. La famille Monjo était en Algérie depuis plusieurs générations. De 1942 à 1946, ses parents vivent à Nelsonbourg (région de Médéa), après Ben-Chicao, ville renommée pour son vignoble à plus de 1 000 mètres d'altitude, où son père exploite une ferme de vignes et céréales.
Jean-Robert, malgré la rusticité des lieux, ni électricité ni eau courante, des hivers neigeux et des étés où il fait 46°C à l'ombre, passera là ses plus belles années, avec l'insouciance de la jeunesse. Il va à l'école à dos-d'âne, apprenant simultanément le français et l'arabe, et porte, même en hiver, des pantalons courts. Son père étant chasseur et pêcheur, Jean-Robert contractera le virus de ces passions à cette époque, qui ne le quittera plus. Les réunions de famille meublaient les journées de Jean-Robert.
Premiers attentats
À Noël, il était de tradition d'assister à la messe de minuit à Alger distante de 140 kilomètres, voyage qui devenait une expédition héroïque. En 1950, la famille Monjo s'installe à Bérard, village au bord de la mer, où son père devient régisseur d'une ferme à Montebello et ensuite dans une ferme à Mouzaïa-ville. Déjà, quelques régions - Aurès, Constantinois… - commençaient à s'agiter avec des attentats anticolonialistes fréquents.
Avec ses camarades de classe, dont Claude, résidant actuellement à Périgueux, et avec qui il a conservé des liens indestructibles, c'était des parties de franches rigolades et d'expéditions mémorables dans les rues de Bérard, quelquefois à faire les quatre-cents coups. En 1954, Jean-Robert rejoint le collège de Boufarik (centre de la Mitidja).
Certes pas touché personnellement par les événements, la jeunesse aidant, Jean-Robert perçoit néanmoins que quelque chose change. En effet, le premier contingent français arrivé en Algérie fait quelques apparitions, car par-ci par-là des attentats sont commis. En 1957, Jean-Robert, âgé de 15 ans, sent les prémices des futurs événements.
L'armée française investit l'Algérois, donnant quelques espoirs aux Français d'Algérie. Le mouvement Front de libération nationale (FLN) prend du poil de la bête. Malgré un climat quelque peu insurrectionnel, tous les quinze jours, Jean-Robert rendait visite à ses cousins à Boufarik afin de passer le week-end.
Le doute après l'espoir1957 sera un drame personnel pour Jean-Robert. Son père, assassiné par le FLN, sera inhumé à Rouïba, ville dont il était originaire. Suite à cet épisode tragique, la famille Monjo rejoint la région algéroise, la mère de Jean-Robert sera employée à la préfecture de police d'Alger. Les familles de pieds-noirs étant très soudées, Jean-Robert sera très entouré par ses tantes et oncles. Il s'intéresse de plus en plus à ces événements et s'implique dans le mouvement Algérie française.
En effet, à Alger, les attentats s'intensifient. Malgré le climat insurrectionnel qui règne, Jean-Robert et ses copains se défoulent dans les parties de pêche au fusil harpon et la baignade. En 1958, le général De Gaulle arrive au pouvoir, aussi les pieds-noirs pensent que c'est une bouée de sauvetage. Puis, compte tenu de l'évolution de la situation, le doute s'installe parmi la colonie française. En 1960, Jean-Robert débute sa carrière d'instituteur à Tizi-Rached en Kabylie.
Les événements s'enchaînent et De Gaulle penche finalement pour l'indépendance de l'Algérie en tant que seule issue au conflit qui a fait tant de morts de part et d'autre. Le 19 mars 1962, après les Accords d'Évian, le cessez-le-feu est proclamé.
La valise ou le cercueilCommence alors l'exode des Européens d'Algérie. Quittant définitivement Alger-la-Blanche, Jean-Robert, accompagné de sa sœur Christiane - leur mère rentrera quelques semaines plus tard - avec comme simple bagage une valise, débarque à Marseille le 26 juin 1962. Il rejoint Toulouse où une partie de sa famille est implantée. L'indépendance de l'Algérie sera déclarée le 5 juillet 1962. Car comme le raconte Jean-Robert, « c'était la valise ou le cercueil ».
Heureusement, l'esprit de famille a permis d'atténuer ce départ. Une nouvelle errance va commencer pour Jean-Robert qui, durant trois ans, exercera son métier d'instituteur dans le Pas-de-Calais, avant de rejoindre la région bergeracoise où il terminera sa carrière. Bien que parfaitement intégré en métropole, son cœur est resté là-bas, avec des larmes de joie et de chagrin, une blessure qui ne sera jamais cicatrisée, et certainement un échec.
Retraité depuis 1997, Jean-Robert s'est retiré en terre duraquoise, en restant un contemplatif de la nature grâce à l'éducation reçue de son père. Heureusement, il revoit toujours ses anciens camarades d'Algérie, lors de repas entre rapatriés, car pour eux, il est toujours resté « JR »
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